Ecolofil est un blog écolo, fait de petits articles (fils), ayant comme modeste ambition de vous éclairer sur les turpitudes humaines portant atteinte au devenir de notre planète. Ces articles sont très succincts, mais agrémentés par des liens sur lesquels il vous suffit de cliquer, et qui vous renvoient vers davantage d'explications, tout comme les images. Bonne lecture !

chasseurs et gel prolongé

Réponse point par point à Jean-Pierre Arnauduc,
Coordinateur technique à la Fédération nationale des chasseurs,
interviewé par Ornithomediaau sujet de la vague de froid 
de l'hiver 2010-2011

OrnithomediaConsidérez-vous que la vague de froid actuelle, qui a chassé des milliers d'oies et de canards du nord de l'Europe vers la France, justifie une suspension de la chasse au gibier d'eau ?
Jean-Pierre Arnauduc : Non, ou bien à la limite par le biais d'une réduction des prélèvements au niveau du P.Q.G. (Plan Quantitatif de Gestion) (NDLR : le P.Q.G. fixe le nombre de canards tués par installation, hors oies et foulques) pour des motifs éthiques.
A plus long terme, avec le réchauffement climatique, les chasseurs français de migrateurs n'auront plus que ces épisodes météorologiques particuliers pour voir du gibier migrateur en abondance et donc pour pouvoir vraiment chasser (une année sur cinq ? Sur dix ?).
Ecolofil : Il considère que la vague de froid ne justifie pas qu'on arrête de massacrer les oiseaux, car il dit croire que les prochains hivers seront plus doux : Qu'en sait-il ? La bonne excuse, quoi !

OrnithomediaPourrait-on appliquer prochainement dans certains départements ou régions la mesure dite de 'gel prolongé" définie par la FNC en l'étendant aux oies et aux canards ?
Jean-Pierre Arnauduc : Non. Au demeurant la mesure de "gel prolongé" n'a pas uniquement été définie par la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC), mais aussi par l'Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS), la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), France Nature Environnement (FNE), la Ligue ROC et par d'autres associations …
Cette mesure est validée par le Ministère de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement. Elle n'a pas été (encore) enclenchée au niveau national car les critères scientifiques et techniques qui la composent n'ont pas encore été atteints. Mais la surveillance sur le terrain continue et, localement, selon les conditions particulières, des mesures peuvent être prises (comme c'est le cas dans certains départements pour la Bécasse des bois) Rappelons que les oiseaux ne meurent jamais de froid mais de faim, et que c'est le gel prolongé qui compte et non pas le froid ou la neige
EcolofilLa circulaire relative aux modalités de suspension de la chasse en cas de gel prolongé pose problème, car les fédérations de chasseurs ont main mise sur les protocoles de diagnostic (voir Chapitre I, paragraphe 2c) et décident seules des prélèvements à effectuer dans les zones refuges (voir paragraphe IV). Les associations de protection de l'environnement sont de plus sous-représentées dans ces instances de concertation et, face aux responsables des fédérations et associations de chasseurs qui sont souvent des élus et ou notables locaux et ont des rapports privilégiés avec les représentants de l'état, elles ne pèsent pas lourd.

OrnithomediaDans la mesure de "gel prolongé", la FNC parle "d'espèces susceptibles d'être affectées par des conditions climatiques extrêmes" et exclut les canards et les oies pour ne retenir que la bécasse et les passereaux : pourquoi ces exceptions, et qu'en pensez-vous ?
Jean-Pierre Arnauduc : Non, elle ne les exclut pas, mais dit seulement que les canards et les oies sont moins sensibles/vulnérables que les limicoles et les passereaux
Ecolofil : Les canards et les oies seraient moins sensibles au froid et donc se seraient pas affectés par des conditions climatiques extrêmes. Pourquoi migrent-ils alors en masse vers des régions plus clémentes ?

Ornithomedia : Des observateurs ont rapporté dans la région Nord-Pas-de-Calais des "massacres" d'oies et de canards : en avez-vous également entendu parlé, et les fédérations évoquent-elles la possibilité de porter plainte contre ces abus ou de travailler activement avec les gardes de l'ONCFS pour sanctionner les fautifs ?
Jean-Pierre Arnauduc : Oui bien sûr, on approuve ces sanctions si le PQG adopté volontairement par les fédérations de chasse en 2010 n'est pas respecté. C'est alors une infraction commise par un ou des chasseurs, et elle doit être sanctionnée d'autant plus sévèrement qu'elle porte atteinte à l'image de la chasse.
Ecolofil : Vous avez noté que le PQG (plan quantitatif de gestion) n'englobe pas les oies ni les foulques. Vous notez également que ce sont les fédérations de chasseurs qui fixent les quotas de ces PQG. Et enfin, vous noterez que ce sont des observateur indépendants qui signalent ces abus, et non les fédérations de chasseurs. Sa seule préoccupation est préserver l'image sérieusement écornée de la chasse, et non préserver les espèces.

Ornithomedia : Sans suspendre la chasse totalement, pourrait-on envisager une fermeture temporaire de la chasse de nuit pour permettre aux oiseaux de se reposer en cette période ?
Jean-Pierre Arnauduc : Comme indiqué précédemment, les oiseaux n'ont pas tant besoin de se reposer que de se nourrir. Tant que les plans d'eau et berges de cours d'eau ne sont pas durablement gelés nuit et jour, ils ne souffrent pas de privation. Ne tombons pas dans l'anthropomorphisme ...
Ecolofil : De mieux en mieux : les oies et les canards n'auraient pas besoin de repos, on pourrait donc les chasser jour et nuit, quand bien même ils seraient affaiblis par le manque de nourriture et le froid.


OrnithomediaLes fédérations peuvent-elles sanctionner certains de leurs adhérents, par exemple en les excluant ou en supprimant leur permis, en tout cas dans les territoires qu'elles gèrent ? Est-ce déjà arrivé ?
Jean-Pierre Arnauduc : C'est l'État et lui seulement qui a le pouvoir de sanctionner, par ses agents, et notamment la garderie de l'ONCFS.
Ecolofil : Agents de l'ONCFS en sous-effectif (moins d'un par canton), qui en plus des missions de Police de la chasse, de la pêche, de l'environnement, doivent prendre le risque de se confronter de nuit à des chasseurs malheureusement hostiles, souvent alcoolisés, et parfois braconniers sans scrupules.


Ornithomedia : Est-il possible concrètement de s'assurer que des oies protégées comme l'Oie à bec court et la Bernache nonette soient effectivement épargnées sur le  terrain ?
Jean-Pierre Arnauduc : Encore une fois la loi existe, et tout contrevenant est passible de sanctions au titre de chasse d'espèce protégée. Après les procès-verbaux des gardes de l'ONCFS, le juge peut décider du type de sanction : amende, retrait de permis ...
EcolofilLa répression des abus commis par les chasseurs ne rendra pas à la nature ce qu'elle a perdu : une espèce disparue ne réapparaîtra jamais plus. Et je ne vois pas comment les chasseurs parviendraient à identifier de nuit des espèces protégées parfois si semblables aux autres, qu'il faut les observer attentivement de jour pour les différencier. Mais leur fusil étant la représentation phallique de leur libido (d'après les Freud), ces oiseaux devenus rares finiront probablement empaillés, comme preuve de leur virilité.

Ornithomedia : Certains chasseurs semblent avoir du mal à accepter des suspensions temporaires ou la fin de la chasse aux oies en février car ils mettent en avant les gazages d'oies aux Pays-Bas : or cette pratique, très critiquable, ne semble pas concerner des oiseaux migrateurs mais des oiseaux sédentaires. Qu'en pensez-vous ?
Jean-Pierre Arnauduc : La sédentarité et l'isolement total des oies hollandaises ne sont pas encore scientifiquement prouvés. C'est pourquoi un programme de recherche sur les oies est en cours de d'élaboration par le Ministère de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement. Le silence des protecteurs sur ces pratiques aux Pays-Bas a en revanche de quoi surprendre !!
Ecolofil : Une mission parlementaire s'est déplacée aux Pays-bas pour étudier la question, et a rendu ses conclusions : Les oies migrant en France ne sont pas les oies sédentaires hollandaises. On en rirait si c'était marrant.

Ornithomedia : Êtes-vous en contact avec des associations de protection de la nature pour une "gestion" consensuelle et durable de ces afflux d'oiseaux chassés des pays voisins par le gel ?
Jean-Pierre Arnauduc : La mesure du "gel prolongé" a été définie avec des associations de protection de la nature.
Ecolofil : Sous la pression des chasseurs, la mesure de gel prolongée n'est pas correctement appliquée, pour les raisons évoquées plus haut. Et pour cause, imaginez qu'ils soient empêchés de pratiquer leur sport favori sur les zones toujours plus réduites, où se concentrent en grand nombre leurs proies, qui n'ont d'autres choix que s'y poser pour subsister

Ornithomedia : Que pensez-vous du principe du financement même partiel de l'ONCFS par les fédérations de chasseurs : est-il "sain" que des liens de cette nature existent entre contrôleurs et contrôlés ?
Jean-Pierre Arnauduc : Il y a longtemps que les gardes nationaux ne dépendent plus de l'ONCFS mais du procureur. Ils sont fonctionnarisés, comme un gendarme ou un policier. L'ONCFS reçoit ses directives du Ministère. L'ONCFS n'est pas financé par les FDC mais par la redevance que paient les chasseurs lors de la validation du permis. Cet argent est réinvesti dans la connaissance et la gestion des espèces et leurs habitats : bel et rare exemple d'application du principe "utilisateur-payeur ", on aimerait bien voir cela de la part des autres activités de nature …
Ecolofil : Non Monsieur. Les gardes de l'ONCFS dépendent et sont notés par leur administration : L’ONCFS dont le conseil d'administration est majoritairement représenté par ... des chasseurs! qui est de plus un établissement public placé sous la tutelle des ministères de l’écologie et de l’agriculture. Pourquoi de l’agriculture d'ailleurs ? il n'en n'a pas été toujours ainsi : les agriculteurs dans leur majorité ne seraient-ils pas chasseurs et n'auraient-ils pas usé de la toute puissance de leur syndicat majoritaire ? En revanche, les procès-verbaux dressés par les gardes de l'ONCFS sont soumis à leur hiérarchie, qui les transmet (ou pas) au procureur de la République, lequel décide des éventuelles poursuites à engager (ou pas) : bien des étapes avant une hypothétique et dérisoire condamnation.

OrnithomediaIl existe actuellement une polémique dans le monde ornithologique suite à la publication d'un numéro de la revue Ornithos (2010, 17-5) publiée par la LPO et consacrée aux canards hivernants, dans lequel une large part est consacrée aux résultats d'études de l'ONCFS et de fédérations de chasseurs. Les lecteurs s'interrogent sur les risques d'une emprise de la chasse sur la protection de la nature et d'un manque d'objectivité possible des résultats. Quel est votre point de vue ?
Jean-Pierre Arnauduc : Cette polémique vient de trois ornithologistes à la retraite bien connus pour leur posture résolument anti-chasse (Alain Tamisier, Guy Jarry et Hubert Tournier : leur appel) ; ils n'en sont pas à leur premier "coup" de la sorte. La confusion est totale entre leur militantisme et leur objectivité scientifique. Ces études de l'ONCFS sont déjà publiées pour la plupart dans des revues scientifiques dotées d'un comité de lecture. C'est un mauvais procès fait à l'ONCFS et à ses chercheurs.
Si les chasseurs peuvent être soupçonnés d'être juges et parties, il en est alors tout autant des protecteurs qui ont tout intérêt à dire que les choses vont mal, que les espèces sont en déclin, … afin de pouvoir bénéficier de financements publics pour y remédier : une espèce de plus inscrite sur une "Liste Rouge", c'est un nouveau tiroir-caisse qui s'ouvre pour ceux qui vivent des deniers publics ; n'est-ce pas aussi une façon d'être juge et partie … ?
Ecolofil : Les ornithologues à la retraite ne vivent pas de financements publics, mais de leur retraite : déclarer des espèces en déclin ne leur rapporte rien. Et que les chasseurs ne nous donnent pas de leçon en matière d'ornithologie, eux qui pratiquent le lâché sauvage d'animaux exotiques au détriment des espèces indigènes, eux qui continuent avec la bénédiction silencieuse des autorités locales et gouvernementales à braconner des espèces protégées, eux qui lâchent dans la nature quantité de gibier d'élevage en prétextant réguler les milieux naturels... Et comme je viens de le dire plus haut, l'ONCFS dépend indirectement des chasseurs, ses études s'en ressentent !


Ornithomedia : Comment favoriser les coopérations scientifiques entre des organismes autrefois opposés tout en rassurant les partisans des deux "camps" sur l'impartialité des conclusions ?
Jean-Pierre Arnauduc : En se débarrassant de toute idéologie anti-chasse, ce qui hélas est rarement le cas des organisations de protection animale, même lorsqu'elles s'en défendent.
Ecolofil : En se débarrassant de toute idéologie anti-écologiste, ce qui hélas est rarement le cas des fédérations des chasseurs, même lorsqu'elles s'en défendent.


Au final, il faut en retenir que la FNC n'a rien fait pour protéger les canards et les oies durant cette période de grands froids, si ce n'est publier sur son site un communiqué demandant aux chasseurs de faire preuve de modération : un semblant d'aveu ? Mais les massacres n'ont pas cessé pour autant (tout ce qui n'est pas interdit est autorisé selon une certaine logique imbécile bien connue dans ce milieu), et il n'ont pas seulement eu lieu dans le nord de la France, mais aussi sur les côtes atlantiques, les fleuves, les rivières et les plans d'eau. Il valait mieux ne pas se balader certains soirs en bord de Loire, car il n'y avait alors de place que pour les viandards. Les instances fédérales des chasseurs manient à merveille la langue de bois, et Jean-Pierre Arnauduc en est leur digne représentant. Le soucis, c'est que ce "hobby" sanguinaire pratiqué par 1,5 % de la population française (et encore, ce chiffre semble artificiellement gonflé) l'est au détriment de tous les autres, et surtout de la faune sauvage.
Ecolofil